mardi 3 septembre 2013

Enquête sur le gang a la machette

Abidjan ne dort plus. Il ne passe plus de jour sans que le gang des machettes ne se signale. Le 4 juillet, à Attécoubé, deux gangs rivaux, les microbes et les virus, se sont affrontés à la machette. Bilan : quatre morts et de nombreux blessés. Ce jour-là dans l’après-midi, au quartier Boribana, la tension était vive. Des pneus en feu jonchaient les rues. Des tables obstruaient les voies et des coups de feu se faisaient entendre de part et d’autre dans les ruelles. Des individus non identifiés, machettes en main se livraient à une chasse à l’homme dans les différents couloirs de Boribana. Il a fallu une intervention du Centre de coordination des opérations décisionnelles (Ccdo) pour mettre fin à ces scènes dignes des films d’action hollywoodiens. En effet, les forces de l’ordre ont obligé les badauds à surseoir à leurs actions macabres et à disparaître dans la nature. Même situation, même décor. Le dimanche 18 août à 15h, des individus, armés de couteaux, de machettes et d’autres objets contondants font irruption sur l’esplanade de l’hypermarché Sococé des Deux-Plateau. Ils s’attaquent à toutes les personnes qu’ils rencontrent. Ils arrachent les téléphones portables et autres biens. C’est la psychose totale chez des clients qui arrivent ou qui quittent le parking de la grande surface. Selon des témoins de la scène, les agresseurs sont des jeunes gens dont l’âge varie entre 15 et 22 ans. Ils sont arrivés à bord d’un minicar. Pendant qu’ils sèment la terreur, la police est alertée. Mais, toujours selon des témoins, avant l’arrivée des flics, les malfrats ont eu le temps de se fondre dans la nature. Ils ont fait plusieurs victimes avant de prendre le large. Ces braqueurs, on le constate, ont les mêmes caractéristiques que les gangs à la machette qui sévissent à Abobo depuis des mois : des adolescents très violents qui opèrent en grand nombre, munis d’armes blanches. Après avoir touché tous les quartiers de la commune dirigée par le maire Toungara, le phénomène a atteint Attécoubé, où plusieurs témoins ont déjà dénoncé cette pratique ignoble qui se produit en pleine journée. Jusque-là, on croyait les habitants des quartiers huppés à l’abri de cette forme de criminalité. C’était mal connaître les jeunes gangsters qui viennent de frapper à un endroit névralgique de Cocody. Abobo ouvre la danse Le gang des machettes s’est signalé plus d’une fois à Abobo. Pour preuve, Ouattara Sidi Moctar a failli perdre la vie dans la nuit du 23 février dernier à 23 heures. Le professeur de sciences physiques dans un établissement scolaire d’Abobo, a été attaqué par un groupe de 50 jeunes gens armés de machettes et de gourdins. C’est un gang qui sévit depuis quelques mois. Il a mis en place une opération dénommée «Filet». Elle consiste à dépouiller et bastonner tous ceux ou celles qui se trouvent sur leur chemin. Cette nuit-là, après son agression, l’enseignant a eu un doigt sectionné et plusieurs blessures à l’abdomen. Ce redoutable gang est composé de 50 à 200 jeunes gens dont l’âge varie entre 13 et 26 ans. Le chef de la bande armée se nomme Camara Ousmane alias Oussou, 26 ans. «C’est grâce à la volonté de Dieu que j’ai pu m’échapper des mailles du filet. Regardez mon doigt. Ils m’ont bastonné et dépouillé. C’est moi qui ai saisi le commissariat de police du 32ème arrondissement. Avec l’appui du commissaire, les enquêtes ont abouti à l’arrestation du chef de gang Camara Ousmane, de Keita Mohamed Lamine, 13 ans, et de Cissé Ousmane Likané, 17 ans. Ils ont été mis aux arrêts le 6 mars dernier lorsqu’ils préparaient une énième offensive. C’était vers le glacier d’Abobo sur la voie express, en face du collège Iris. C’est sous la clameur populaire que ces voyous ont été conduits au commissariat de police », explique Sidi Moctar qui porte encore les stigmates de ses blessures. L’arrestation de ces malfrats d’un autre genre a déclenché la colère des autres membres du gang. Ceux-ci ont organisé un assaut contre le commissariat en vue de libérer Oussou et les deux autres prévenus. Pour éviter tout débordement, les policiers sécurisent dans un premier temps leurs locaux. Puis ils exfiltrent les détenus pour les conduire au violon du district de police d’Abobo. C’est de là que les trois bandits ont été présentés au procureur de la République près le tribunal d’Abidjan-Plateau. Ils ont été mis sous mandat de dépôt puis condamnés à 20 ans de prison par le tribunal, deux semaines après leur arrestation. Cela n’a pas entamé l’ardeur du groupe qui change immédiatement de tête. Un nouveau chef de gang est nommé en la personne d’un certain Roma. Ce dernier est épaulé par les nommés Abou et Fabrice. Comme Ouattara Sidi Moctar, d’autres citoyens ont aussi été victimes du gang à la machette. Coulibaly Ibrahima a eu moins de chance que le prof. Il a été molesté, dépouillé et abandonné dans une ruelle du sous-quartier Agnisankoi comme un vulgaire voyou. Le gang a emporté ses téléphones portables, sa paire de chaussures Sebago, son porte-monnaie contenant des numéraires et son bracelet fabriqué en argent-blanc. K Romaric, lui, a subi l’assaut lancé par le même gang alors qu’il se trouvait dans un bistrot, non loin de son domicile, à la rue « Gbêlin ». C’était au secteur Château du quartier Avocatier. «Je prenais un verre avec ma voisine. Contre toute attente, un groupe d’une soixantaine de jeunes est passé devant le maquis. Je signale que les rues de notre quartier sont très animées. A première vue, cela ne m’a rien dit. Quelques minutes après, deux individus se détachent du lot et font irruption dans le bistrot avec des seaux en main. Le premier bandit s’est dirigé vers le comptoir où se trouvait le gérant. Le second nous a sommés de déposer tous nos biens dans un des seaux», relate le technicien en bâtiment de 41 ans. Il a été dépouillé de ses deux téléphones portables et de son porte-monnaie contenant de l’argent et sa carte d’identité. Par ailleurs, il ajoute que les truands ne se sont pas contentés de prendre ses biens. Il a été tailladé au bras et à l’épaule droite. Terrorisée, la population crie au secours «Les choses sont allées très vite. Surpris par l’attaque, je ne voulais pas donner ce qu’il (son agresseur) réclamait. C’est ainsi qu’il m’a tapé avec sa machette», ajoute Romaric. Selon lui, après leur forfait, les deux individus l’ont laissé dans une mare de sang. Ils sont ressortis du bistrot sans être inquiétés. Le groupe est soutenu par des jeunes filles membres du gang. Elles scandent : «Guerriers ! Guerriers !» Traoré Salif a eu, lui aussi, la malchance de se retrouver sur le chemin de ces gangsters qui sèment la désolation depuis le mois d’octobre 2012. Il nous explique que le gang a vidé la caisse de sa boutique. D’après lui, il a emporté la somme de 200.000 Fcfa en plus de deux sacs de riz et diverses marchandises. « Ils sont entrés de force dans mon magasin. Ils ont pris ce qu’ils pouvaient prendre. Je ne m’y suis pas opposé au risque d’être agressé ou tué», affirme-t-il. Le commerçant est d’autant plus inquiet car, poursuit-il, les braquages montent en puissance. «Nous avons porté plainte au commissariat de police du 32ème arrondissement. Une enquête a été ouverte pour donner une suite à mon agression», confie le boutiquier. Derrière-rails, un autre sous-quartier de la commune martyre. T Ousmane, commerçant, en a fait les frais pour la seconde fois. Il nous montre les cicatrices de ses blessures à la tête et à la hanche. La victime raconte qu’en début d’après-midi du 15 janvier dernier, une vingtaine d’individus armés de machettes se sont introduits dans son magasin. Ousmane précise qu’il devait passer une commande de 10 tonnes de riz. « Quand ils sont arrivés, je venais de préparer une enveloppe de 5 millions Fcfa pour une commande. Très excités, ils m’ont roué de coups. J’ai été tailladé par ces individus», se lamente-il. Comment le gang des machettes opère Pour commettre leurs forfaits, ces jeunes sèment la terreur en se constituant en bande armée. Munis de gourdins, de machettes, ils occupent les rues en simulant des bagarres entre eux et agressent les passants et les commerçants. Au dire d’une victime, « ils ravagent tout sur leurs passages ; les gens courent dans tous les sens pour entrer dans une habitation pour s’y abriter ». Au-delà des atteintes aux biens notamment les portables, l’argent, les victimes sont parfois gravement blessées. Le cdt Jah Gao en guerre contre le gang des machettes Le commandant Gaoussou Koné dit Jah Gao a déclaré la guerre aux gangs des machettes. Le patron des Forces républicaines de Côte d’Ivoire(Frci) basées au camp commando d’Abobo a mis en place, depuis quelques jours, une unité spéciale pour traquer et anéantir les différents gangs qui sèment la terreur dans les quartiers de la commune d’Abobo. « Il est vrai que c’est le rôle de la police et de la gendarmerie d’assurer la sécurité. Mais lorsque nous sommes sollicités, nous réagissons. Le problème, c’est que nous ne sommes pas habilités à conduire des procédures lorsque ces gangsters sont arrêtés. Cependant, nous ne pouvons pas rester les bras croisés. Ainsi, nous avons identifié les zones rouges, c'est-à-dire les quartiers où les gangs des machettes opèrent. Des éléments ont été repositionnés à ces endroits. C’est une force en attente qui se déploie dès qu’il y a une situation », nous a expliqué l’officier supérieur. Selon lui, ces actions ont déjà porté des fruits car plusieurs gangs ont été démantelés. Les malfrats, dont l’âge varie entre 15 et 22 ans, ont été arrêtés et déférés au parquet d’Abidjan. « Nous sommes prêts à démanteler ces gangs. Mais nous avons besoin de l’accompagnement de la police et de la gendarmerie dans l’ouverture des procédures et des auditions des prévenus. Nous avons informé le commandant des forces terrestres du phénomène des machettes. Il a indiqué que les autorités en charge de la sécurité intérieure doivent jouer leur partition en encadrant nos actions. C’est la difficulté à laquelle nous sommes confrontés », a-t-il ajouté avant d’indiquer qu’il y a un lien direct entre ce fléau et la présence de fumoirs de drogue. Pour joindre l’acte à la parole, le cdt Jah Gao a dressé la cartographie des fumoirs de drogue qui pullulent dans les coins et recoins de la commune d’Abobo. Ainsi, hier, ses éléments ont détruit six fumoirs et ont saisi 20 kilogrammes de cannabis. «Les membres des gangs des machettes sont des drogués. Lorsque nous les arrêtons, on retrouve en leur possession de la drogue. Ils fument la drogue avant d’opérer. Donc, l’une de nos stratégies consiste à détruire ces fumoirs de drogue. Nous avons fait le travail mais là encore il faut que la police et la gendarmerie prennent leur place. Faut-il rappeler que notre mission est la défense du territoire national. La sécurité intérieure est du ressort de la police appuyée par la gendarmerie. Nous n’intervenons qu’en dernier ressort», a rappelé le patron des Frci du camp commando d’Abobo. Bahi K.

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