mercredi 21 août 2013

Enquete sur la mendité en Cote d'Ivoire

Professeur Gueu Denis, socio-criminologue : «Des chefs d’Etat profitent des mendiants » Selon Pr. Gueu Denis, enseignant-chercheur à l’Unité de recherche et de formation (Ufr) de criminologie de l’université Félix Houphouet-Boigny, la mendicité est un réseau bien organisé dont l’argent profite à certains Présidents africains. Quelles sont les raisons de la mendicité ? Les raisons de la mendicité sont diverses. Il y a des raisons purement culturelles. Dans nos communautés religieuses ; il y a des aspects qui pourraient encourager la mendicité tels que les aumônes tant chez les musulmans que chez les chrétiens. Ce qui fait que vous allez voir les églises et les mosquées remplies de nécessiteux. Ils ne viennent pas forcément à la conquête du Seigneur mais pour se faire aider. Il y a d'abord ce côté culturel qui s'étend. Ayant fait des recherches, il existe à Agboville, un quartier des mendiants. Il est situé derrière les rails au niveau du quartier Sokoura. Lors de ma thèse de doctorat, je me suis rendu là-bas. J'ai posé la question de savoir pourquoi il peut avoir un quartier de mendiants. Les gens m'ont répondu qu'il y a des ethnies au Burkina Faso qui ont pour culture la mendicité. C'est-à-dire que c'est leur origine. Certaines de ces ethnies sont également au Mali et au Niger. Donc mendier chez ces ethnies-là n'est pas une infraction, c'est plutôt quelque chose de normal. En sociologie, ce qui est normal pour une société donnée peut être pathologique pour une autre. Au moment où la Côte d'Ivoire prend des décisions, ceux qui sont habitués à une telle mentalité se disent que c'est une aberration parce que pour eux, il est normal qu'une personne puisse mendier. C'est ce que nous appelons l'aspect culturel. En dehors de cette raison, il y a des aspects d'ordre économique. Ceux qui sont attachés à ces raisons d'ordre économique, ce sont ceux-là qu'on appelle les faux mendiants. Des femmes qui ne sont pas malades s'arrêtent dans les carrefours pour mendier. C'est la recherche du gain facile; il y a aussi une raison d'ordre physique qui est lié à l'état de santé de certaines personnes. Il s'agit des handicapés moteurs parce qu'elles ont été victimes de la poliomyélite; il y a les aveugles aussi. Ces mendiants viennent parfois du Niger ; ils quémandent dans les différents carrefours. Il faut dire que parmi les mendiants en Côte d'Ivoire, il y a un taux élevé de ressortissants du Niger. La plupart sont des personnes de l'ethnie haoussa. J'ai parcouru les rues d'Adjamé; j’ai constaté que c'était des jeunes Haoussa. Est-ce que la mendicité est liée à la pauvreté ? La mendicité n'est pas liée à la pauvreté. Quand nous faisons des recherches en criminologie, et surtout en sociologie, on ne les lie jamais - c'est une mauvaise analyse- un phénomène social à la pauvreté. Il y a eu certes la crise en Côte d'Ivoire, mais tous les pauvres ne sont pas mendiants pour autant. En plus, la religion chrétienne et musulmane condamnent la mendicité. Nous avons échangé avec plusieurs imams des différentes mosquées, à travers la ville d'Abidjan. Ces guides religieux m'ont dit que le prophète de l'Islam chassait les mendiants aux alentours des mosquées. Donc la mendicité ne peut pas être liée à la pauvreté. Et pourtant, le phénomène perdure à tel enseigne que le gouvernement a pris des mesures ! Le phénomène se multiplie parce que quand une personne fait quelque chose, son voisin veut aussi faire la même chose. Il y a une sorte d'imitation qui s'installe car les mendiants à Abidjan, se trouvaient autour des mosquées et des carrefours. Mais depuis un certains temps, vous avez remarqué qu'il y a des ethnies qui n'étaient pas impliquées dans la mendicité comme le Bété, le Dida, les groupes ethniques de l'ouest ivoirien, mais si vous arrivez au carrefour de l'école de police à Cocody, toutes les femmes qui sont là ce sont des Bété, des Dida, qui mendient à ce carrefour. Donc, il y a une sorte d'imitation. Est-ce à dire qu'il y a des motivations financières ? Le nœud du problème c'est l'argent. Mais cette recherche d'argent est aussi motivée par la paresse. Une femme peut aller faire ses galettes pour les vendre et se faire de l’argent. Elle peut vendre des arachides et se faire de l'argent. J'ai une camarade qui est fondée de pouvoir, mais sa mère était servante. Et c'est grâce à cet argent qu'elle a scolarisé sa fille qui est aujourd'hui fondée de pouvoir à Dabou. C'est une fuite du travail, la culture de la paresse et la cherche du gain facile. Est-ce qu'être handicapé doit conduire à la mendicité ? Non. En amont, le problème de fond, c'est la paresse. Un handicapé peut faire quelque chose. Il peut apprendre un métier. A Yopougon, on a vu des gens qui ne voient pas mais qui peuvent tresser. Pour ceux qui mendient, il n’y a pas cette motivation de gagner son pain à la sueur de son front. La véritable problématique de la mendicité, ce sont des gens qui fuient l'effort. Quels sont les facteurs qui favorisent la mendicité ? Les éléments qui favorisent la mendicité, ce sont entre autres la zakat en Islam. C'est-à-dire que le fait d'aider quelqu'un qui est dans la souffrance, c'est une œuvre de bonne foi. Celui qui donne, il le fait de bonne foi. Mais celui qui reçoit, il pense que c'est un droit. Du coup, ceux qui n'ont pas fait d'études sur la mendicité, ils diront automatiquement que c'est autour des mosquées et des églises que se trouvent les mendiants. Or, en réalité, les imams et les pasteurs font des efforts pour ne pas encourager ces personnes à pratiquer la mendicité. Cependant, quelque part il y a un lien qui encourage certains. Quand je faisais mes études, j'étais à la grande mosquée d'Adjamé. Des personnes arrivent avec des sacs de riz pour donner aux mendiants. Ce qu'on doit comprendre concernant la mendicité, c’est que, que ce soit au Sénégal au Mali, il y a une sorte de dilemme concernant les talibés (ceux qui apprennent le coran et qui mendient, ndlr). Au cours des cérémonies, ils font des incantations. Du coup, ils sont importants lorsqu'il y un deuil ou un mariage. Cette importance est mal utilisée, car il y a des gens qui font également des sacrifices, en leur faisant des offrandes. Ce sont des paramètres que je qualifie de souterrains. Il y a un autre élément dans la mendicité que les gens ne peuvent pas voir ; c'est qu’il y a une sorte de congrégation. Qu’est-ce que cela signifie exactement? Les mendiants que vous voyez à Adjamé sont soutenus par ces congrégations. Il y a des mendiants qu'on prend, le matin, dans de grosses cylindrées pour les déposer devant les mosquées. Les fruits de la mendicité soutiennent certains chefs d'Etat en Afrique dont je ne citerai pas les noms. Donc, la mendicité est un réseau. Il y a l'aspect qu'on voit. Elle est comme la prostitution; l'homosexualité et le terrorisme. Ce que nous voyons n'est pas la vraie découverte de la mendicité. Lorsqu'on fait des études approfondies, on comprend que la mendicité est un réseau. Les enfants qu'on voit et qui guident les gens ce sont des gamins qu'on est allé chercher au village pour dire aux parents, votre enfant va rester chez moi. Mais après, il y a des réseaux de commerce de ces enfants vers l'Europe. Comment se manifeste le soutien des mendiants aux chefs d'Etat africains dont vous ne voulez pas citer les noms ? Ce qui atteste ce soutien, c’est le témoignage édifiant sur deux enfants que je connais très bien, quand j'étais à Abobo. Ils ont été volés et envoûtés par leurs ravisseurs. Ces enfants ont oublié leurs parents et mendiaient dans les rues d'Adjamé pendant près de deux ans. Pour les parents, leurs enfants sont morts. La mère de l'un des enfants est allée se confier à des hommes de Dieu ; ils ont prié pour elle. Un jour, le fils de la dame se présente à la maison; l'enfant dira que c'est un jour qu’ il s’est souvenu qu'il a ses parents à Akéikoi (Abobo, ndlr). Il a demandé à son ami de fuir. Et ce dernier a répondu pour dire que s'ils fuyaient, alors leurs ravisseurs allaient les tuer. Quant ils mendiaient, ils partaient donner l'argent à une autre personne. Ce sont des réseaux qui sont difficiles à découvrir, car c'est très astucieux. C'est une criminalité organisée. Est-il possible d'avoir un jour une société sans mendiant ? Cela est possible. A quelle condition ? Elle est d'abord une condition sociale. Le problème de la mendicité n'est pas une répression systématique. Cela ne peut pas résoudre le problème de la mendicité. C’est comme quelqu'un qui est habitué à la cigarette. Un matin, vous lui dites de ne plus fumer. Il va vous considérer comme son ennemi. Si Le président de la République et son gouvernement prennent la résolution d'interdire systématiquement la mendicité, alors les mendiants vont le prendre pour le diable. La manière la plus correcte en tant qu'enseignant-chercheur, pour lutter contre la mendicité, il faut s'attaquer au problème des enfants de la rue. En quoi faisant ? Il faut créer des structures de prise en charge des enfants de la rue comme ce que le Bice (Bureau internationale catholique pour l’enfance, ndlr) a fait. A Adjamé; il y a un centre d'écoute. Ces enfants sont récupérés et encadrés par des éducateurs. Il faut faire la pêche de ces enfants qui sont des ramasseurs de bagages, des coxers. Il faut aller à leur conquête. Il faut associer les psychologues, les criminologues, pour donner une bonne image à ces gamins. Ils vont apprendre de petits métiers. La seconde étape c'est une sensibilisation. Très souvent, des gens qui ont fait des jumeaux ou des triplés, comme si la société leur doit quelque chose, on expose les jumeaux. Ça demande une sensibilisation dans les mosquées et dans les églises. Ce qu'il faut préciser, la mendicité est une malédiction. Celui qui ne vit que du fruit de la mendicité, il est maudit. Cet argent ne peut pas lui donner quelque chose. Si les hommes de Dieu qui sont des guides enseignent que la mendicité est la malédiction et que l'enfant qu'on expose pour qu’on lui donne de l'argent, on est en train de lui apprendre la mendicité, les concernés prendront conscience. Il faut sensibiliser dans nos églises et dans nos mosquées. Le troisième élément consiste à trouver une solution gouvernementale à la prise en charge des handicapés moteurs c'est-à-dire les personnes qui ont perdu l'usage de leurs bras et de leurs pieds. Il faut qu'il y ait un grand centre ici à Abidjan et à l'intérieur du pays, pour la prise en charge des handicapés moteurs, pour leur apprendre de petits métiers quels que soit leurs handicaps. Concernant les faux mendiants, on doit les chasser ou bien les poursuivre devant les juridictions ; il n'y a pas d'alternative pour eux. Est-ce que mendier constitue une infraction ? Toutes les infractions ne sont pas reconnues pas le code pénal. Pour qu'il y ait infraction, en terme pénal, il faut trois éléments: l'élément matériel; l'élément moral et l'élément psychologique. C'est-à-dire, il faut qu’il commette une soustraction frauduleuse du bien d’autrui ; ce qui n’est pas le cas de celui qui mendie. C'est même de façon consentante que les gens donnent aux mendiants. Il est difficile de classer la mendicité dans le cas des infractions. Le code pénal ivoirien qui a été copié sur le modèle de celui de la France qu'on appelle le code de Napoléon, est dépassé. Pour les faux mendiants, l'Etat doit aller plus loin en revoyant la copie du code pénal. La mendicité et la cybercriminalité sont des actes qui se ressemblent. Cela n'a pas été prévu par la loi ivoirienne. Du coup, nos gouvernants sont dans une situation de confusion. Ça n'existe pas dans le code pénal. Ça ne remplit pas toutes les conditions pour qu'elle constitue une infraction. Réalisées par Bahi K.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire